microfiction
Consumée est seule, elle marche et elle compte les trous d’homme, les cannelures dans les trottoirs mais ses dents claquent fort, si fort qu’elle serre ses mâchoires à deux mains et ainsi agrippée à elle-même elle marche dans la rumeur et le grondement – sang plein le corps qui lui broie les tempes, sans frénésie mais fort, si fort –, son poste de manutentionnaire a été aboli, l’usine a réorganisé les effectifs, fini les journées entières à se tenir debout, à s’engloutir la tête dans le ronron du convoyeur, à ficeler des lots à répétition, bras droit qui trie, le bras gauche qui rabat, le bassin qui bascule afin d’engager les deux mains qui saisissent dix culottes de couleurs et de tailles identiques, comment tu peux nous faire ça a hurlé Henri quand il a appris, comment on va faire a-t-il hurlé, qu’est-ce qu’on va devenir a-t-il hurlé, Consumée a tiré avec dépit sur sa cigarette, sans regarder elle a envoyé le mégot d’une pichenette, elle s’active, elle travaille, elle sourit, elle cuisine, Henri non, t’es nulle a-t-il soudain gueulé devant sa sansevière embrasée à cause du mégot et qui flambait, va-t’en a-t-il vociféré, va-t’en va-t’en, vingt-trois fois a compté Consumée jusqu’à décider à la vingt-quatrième de le quitter et de sortir sans rien d’autre qu’elle-même, de partir vraiment et de marcher jusqu’à ce que l’envie d’aller voir la vie ailleurs lui vienne que déjà elle claque moins des dents, ses tremblements ont cessé, marcher met au net la blessure, ne te brûle pas toi aussi lui a dit son amie qui l’attend chez elle que déjà un passant ralentit à sa hauteur et qu’elle embarque dans le champ de son ombre.

NDLR Vève: cette création a été retenue pour publication dans la revue « Le passeur » de la Fédération québécoise du loisir littéraire. Pour la lire sous forme de poésie (vers libre), c’est ici.
Ouf… on sent l’ambiance, la violence, la hargne, la décision, le souffle court…. très très beau texte !
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Bon texte…on y est ! Beau texte…bien ciselé !
Envoyé de mon iPhone
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Bravo Geneviève. On sent bien la rage de Consumée et son désir
de vivre autre chose.
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La lecture est essoufflante et nous donne la mesure de la tragédie. Tout un exploit que celui d’une seule phrase. Et j’avoue que je ne connaissais pas la sansevière !
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C’est fort, d’une violence contenue, et toute en légèreté quand même. j’aime beaucoup.
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Très beau texte Geneviève. Construit avec minutie. Court, peu de mots mais beaucoup d’émotions.
Bravo!
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Saisissant, cru, tragique et néanmoins un chant d’une seule traite. Waou ! LM.
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Merci pour cette présence vive à mes mots.
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